Mot du jour – Changement d’heure et malheurs
|« Quelle heure est-il ? » Cette question ne se discute pas. Le temps qui passe non plus, même s’il est perception avant expérience, comme le rappelle Adam Hart-Davis dans Le livre du temps (2012). Mais quand vient le changement d’heure, jaillit un flot de considérations lancé par un « moi je » justificateur et différenciant : « moi je trouve que cela ne sert à rien, tiens, regarde, l’autre jour, à la gare… », « moi je suis fatigué.e par ce changement d’heure et mes enfants perdent leurs repères », « moi je ne comprends rien à ce truc. Je suis parti.e à la même heure que je suis arrivé.e »… L’heure nous perd, et pas seulement le temps ; nous voilà déréglés.
Heure, temps, espace
Les habitants de l’île de Molène tiennent des propos intemporels révélant que le changement d’heure renvoie à la question du temps et de l’espace. Sur leur île, un temps. Le leur. Sur le continent, une autre terre, une autre heure. Les molénais construisent entre autres leur identité autour du temps : chez eux, l’heure est la leur ; ailleurs, ils ont aussi la leur, peu importe. Ces îliens illustrent aussi que l’heure affiche la souveraineté sur leur territoire. Ils sont maîtres des horloges, maîtres du temps, dans une vision relevant peut-être de la pensée magique : « j’ai le pouvoir de déterminer le temps et de commander aux horloges ».
Les bretons de ce reportage de 1976 sont comme les français d’aujourd’hui. Nous discutons du changement d’heure avec une vacuité discursive, comme si l’on attendait Godot, comme si l’on parlait de lui sans jamais l’avoir rencontré, sans le connaître. Considérons que cette superficialité cache une profondeur philosophique et métaphysique : pourquoi se précipiter vers la mort plus rapidement sachant que nous mourrons seuls ? Paul Morand n’était pas breton, pourtant… Vulnerant omnes, ultima necat.
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Adam Hart-Davis, Le livre du temps, 2012
Paul Morand, L’homme pressé, 1941 : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Homme_press%C3%A9_(roman)